• Et par le pouvoir d’un mot- Je recommence ma vie-Je suis né pour te connaître-Pour te nommer- Liberté.
    (Paul Éluard)

Châteaux et fermes seigneuriales: le Château de Portes d’Auvernaux

Plaque de cocher. (CLIQUER sur les photos pour les agrandir).

Le Château de Portes d’AUVERNAUX.

Qui sait encore que le mur d’enceinte de la Ferme de Portes, que l’on aperçoit depuis la route de Champcueil à Loutteville, à droite des Montils, abritait un “château”, définitivement disparu au début du XXème siècle ?
Pour les amoureux de l’histoire locale, cet article, qui tente de répondre à une question d’un Champcueillois, donne quelques informations au sujet de cette bâtisse seigneuriale disparue.

Fermes seigneuriales et châteaux seigneuriaux.

« Nulle terre sans seigneur » !
Durant tout le moyen âge et jusqu’à la Révolution de 1789, telle était l’antienne des chefs ecclésiastiques et des nobliaux en devenir. Et ils avaient réussi, puisque la France n’était alors que fiefs (1) et seigneuries pratiquant habituellement le servage.

Une seigneurie ou un fief seigneurial, c’était un territoire où le seigneur autoproclamé : noble, seigneur de guerre ou seigneurie d’église, exerçait « ses droits », sur son territoire réservé et sur son territoire accensé (2). Dans la région de la Beauce et du Hurepoix, aux terres riches, les seigneuries furent souvent des fermes seigneuriales. Situés le plus souvent à l’écart des villages, entièrement clos de murs et parfois fortifiés, ces bâtiments à usage agricole, écuries, bergeries, étables… comportaient une maison d’habitation qui constituait parfois la demeure du seigneur et plus fréquemment, celle du fermier et de sa famille.
Champcueil et les villages voisins ont eu jusqu’à la Révolution de 1789 leurs fermes seigneuriales, majoritairement inféodées aux ducs de Villeroy, seigneurs qui régentaient le canton depuis leur château de Villeroy, à Mennecy.
Auvernaux avait la ferme seigneuriale de Portes. Champcueil comptait les fermes seigneuriales de Noisement, des Montcelets, (NB 8), de Malvoisine… Chevannes accueillait la ferme des Messies, Mennecy la ferme de la Verville, Mondeville celle de Mézières…

Pour mémoire, le château du Buisson de Champcueil, propriété des seigneurs de Bizemont comportait lui aussi une ferme et 5 hectares de terres labourables. Après la Révolution, les industriels parisiens nouveaux propriétaires du Buisson rachèteront les fermes et terres de Noisement pour les réunir avec celles du Buisson.
À l’origine, les propriétaires étaient des nobles (3) ou des ordres ecclésiastique mais à partir du XVIIème siècle, nombre de bourgeois aisés rachèteront ces fermes pour les exploiter.

Dans sa thèse monumentale sur le Hurepoix, La crise rurale en Île-de-France (4) , Jean Jacquard insiste sur la prise de possession des terres agricoles, bois et fermes, par des gens de robe, des officiers et bourgeois parisiens. Rarement habitées par les propriétaires, les exploitations agricoles étaient alors « affermées » selon la pratique du fermage et tenues par des patrons-cultivateurs souvent horsains. (5)

Concentration des terres agricoles.

Aujourd’hui, les petits paysans ont disparu , les terres agricoles ont été regroupées pour former des surfaces de plusieurs centaines d’hectares, et les bâtiments de ferme devenus inutiles ont été déclassés pour servir à des usages privés.
Ainsi, à Champcueil, les bâtiments de la ferme des Montcelets sont devenus propriété de la commune, la ferme du Grand Noisement a été vendue pour habitation, ce qui devrait être la destination des bâtiments du Petit Noisement depuis la cessation d’activité de Marie-Thérèse Vercruysse.
Et les anciens Champcueillois se souviennent de ce vaste espace cultivé de la propriété de la Verville, entre Chevannes et Mennecy, transformé dans les années 1970 en une immense zone pavillonnaire.

Ferme de la Verville. Mennecy, entre Chevannes et Mennecy, vers 1910

Le Château de Portes et sa ferme seigneuriale.

La ferme de Portes constituait la ferme seigneuriale du château, avant la Révolution. Vaste exploitation agricole dotée de plusieurs bâtiments, la ferme est toujours en exploitation aujourd’hui mais le « château » que comportait le site a disparu. Faute de gravure ou de photos de la fin du XIXème siècle, nous ne savons rien des restes de ce château. (7 Contact ) Il devait s’agir à l’origine d’une belle demeure avec parc, mais ce pouvait être, plus modestement, une grande maison d’habitation, à l’image de la ferme de Chevannes ci-après.

Ferme Rabier Chevannes, avec grande maison d’habitation

Notons que sur les cartes contemporaines, le hameau n’est plus dit de Portes, mais « des Portes. »

Quelques bribes d’histoire …

Au XIIème siècle…
La première trace d’Auvernaux-Auvergnacum remonte au XIIème siècle, dans les minutes d’un procès à propos « d’héritages », qui s’était tenu en 1171 entre le commandeur local des Templiers de Jérusalem et les chanoines parisiens de Saint Victor. Le village était alors soumis au commandeur, « premier seigneur du village ». Son « hostel » jouxtait l’église primitive d’Auvernaux qui appartenait également à la commanderie des Templiers.

Au XIVème siècle
La richesse “temporelle” de l’ordre templier était convoitée par la royauté et la puissance de ses moines-soldats représentait une menace.
Au début du XIVème siècle, le roi de France Philippe IV dit Le Bel, en conflit ouvert avec le pape, allait anéantir l’ordre templier. En 1307, il fera emprisonner les chefs et organisera contre l’ordre un procès en hérésie “pour sodomie et mauvaises mœurs”. L’ordre fut dissout par le pape en 1312 à la suite du procès et les principaux dignitaires, dont le maître de l’ordre Jacques de Molay, furent brûlés vifs en 1314.

Les Templiers disparus, ce sont les Hospitaliers qui les remplaceront à Auvernaux. Ils posséderont à leur tour la majorité des terres de culture, et percevront les dîmes, avesnages, droitures, octrois, banalités et autres impôts pesants sur les habitants de la paroisse.

Au XVème siècle…
En 1477, un “écuyer et seigneur d’Auvergneaux” dit Bras-de-fer obtiendra le partage du fief à son profit, après un procès contre le commandeur hospitalier Jean Perrin.
Bras-de-Fer deviendra propriétaire “de tout le territoire dudit Auvergneaux, qui est du costé de devers Nainville et Portes pour à iceluy territoire avoir et prendre par ledit Bras-de-Fer, depuis ledit Auvergneaux, selon le chemin par lequel l’on va d’illec au Bois-Saint-Michel, et dudit bois jusque contre le terroir de Portes.”
Il n’est alors pas question d’un château, mais de la “Maison »  d’Auvernaux.

Le partage fait, le solde du domaine seigneurial tenu par des religieux de l’ordre hospitalier restait composé de la maison du commandeur, de l’église, de 40 arpents de terres et labours et de la presque totalité des foyers du village qui restaient soumis aux Hospitaliers.
Le village d’Auvernaux comptait alors 20 feux ou “foyers”, soit 80 à 100 habitants, selon la norme de calcul de l’époque qui était de 4 à 5 personnes par cheminée fumante observée.

Carte Cassini vers 1695

Au milieu du XVIIIème siècle…

Le Château de Portes apparait sur un terrier des Ducs de Villeroy de 1759 et sur un plan d’intendance de 1780, en couleurs.
Le terrier de Villeroy, dressé de 1753 à 1759, montre un château situé au hameau de Portes, appartenant à Joseph Antoine Dubois, non inféodé aux ducs de Villeroy pour ce qui concerne le château lui-même.
On peut voir que le château se situait face à l’allée sud qui se prolonge vers la route de Chevannes à Nainville. A gauche, les bâtiments figurés pouvaient être des bâtiments à usage agricole et d’élevage.  Portée sur le plan terrier, la superficie des terres labourables de la propriété de J.A.Dubois est de 66 arpents, 29 perches, 12 pieds. Les marres et terres sont comptées pour 83 arpents, 58 perches, 8 pieds.
Doté d’un parc et d’un espace boisé aménagé d’allées, le château fait alors partie du fief de Villeneuve-Lès-Portes comme indiqué sur le terrier, et il n’est pas identifié Château de Portes, mais des « Cent-arpents ».  Sur la partie est du plan, apparaissent ce qui pourrait correspondre à des dépendances et au logement du personnel. On voit également en lisière du parc ce qui pouvait-être un verger, des jardins et un logement de jardiniers.

Terrier de Villeroy et le château de Portes 1759

Selon les cens prélevés par les Ducs de Villeroy sur la propriété, le château et ses dépendances , « bâtiments, cour, fossés, jardins, grands potagers et talus » sont exemptés, pour une superficie de 29 arpents et 9 perches.
Le fief comportait des terres labourables, quatre mares et des bois, inféodés au bénéfice des Villeroy. Les censives pesaient sur cette partie de la propriété, pour une superficie de 33 arpents, 58 perches et 8 pieds.

Superficie du fief avant la Révolution.

En 1759, la superficie totale du domaine seigneurial de J.A Dubois était de 66 arpents de terre labourables et 83 arpents de marres et terres plus le château et son parc, exemptés de cens pour 29 arpents. En arrondissant à 179 arpents pour la totalité et en utilisant la mesure de surface la plus utilisée alors, l’arpent commun de 42,21 ares, ou 4.221 m2, on obtient une superficie d’environ 75 hectares pour la totalité du fief de Portes.

Toujours au XVIIIème siècle, un plan d’intendance établi vers 1780 montre très bien, et en couleurs, les bâtiments, le parc, la chapelle et les terres labourables. Le « château » est tracé en rouge.

Auvernaux, plan d’intendance 1780

 

Au début de la période révolutionnaire…

Le château et la ferme de Portes ont appartenu à Dominique-Joseph Garat, avocat, littérateur et homme politique, ministre de la Justice en 1792.  D.J Garat et son frère aîné, tous deux avocats au parlement, avaient été élus députés du tiers-état (6) pour le baillage du Pays Basque.
Girondin, D.J Garat remplacera Danton comme ministre de la justice et c’est lui qui, à ce titre, notifiera à Louis XVI sa sentence de mort. Le 27 juillet 1794, D.J Garat votera la mort de Maximilien Robespierre.

Le château de Portes sur le cadastre Napoléonien. 1823

Le cadastre napoléonien montre avec assez de précision le « Château de Portes ».

Le château de Portes. Cadastre napoléonien 1823

Recensement de 1886…

Le recensement de 1886 fait état du château et le sépare de la ferme, tenue par Mr Auger. Le document indique que l’exploitation comptait 14 personnes réparties dans trois maisons.

1899 : Monographie de Mr Louis DESLIENS, instituteur

Monographie deM Desliens intituteur 1899

En 1899, dans la perspective de l’exposition universelle de 1900, Mr Louis Desliens, instituteur d’Auvernaux avait rédigé une monographie très critique pour les possédants et digne d‘un hussard noir de la République. (C’est ainsi que l’on nommait les premiers instituteurs de l’école de la République, qui avaient imposé la laïcité selon les lois Jules Ferry de 1882-1884).
Mr Desliens cite en quelques lignes le château de Portes, sans en préciser le nombre d’habitants. Il produit un dessin sur lequel il indique  la position du château et de la ferme.

Monographie de 1899. Plan des bâtiments du château.

Recensement de 1901…

Le recensement fait encore état du château, où sont domiciliés 4 personnes “d’entretien”: Eugène PETIT, jardinier , son épouse et leurs deux enfants. Le document sépare le château de la ferme, recensée séparément, avec Léonce GIBIER, 30 ans Patron-Cultivateur, son épouse et leur fille, et cinq employés : domestique, ouvrier agricole, charretier….
On peut supposer que le château a été démantelé peu après, ou plus vraisemblablement sa structure intégrée aux bâtiments de la ferme, car lors du recensement de 1906, il n’est plus fait mention du château et seule figure la ferme du « hameau de Portes ». Le fermier-patron présent en 1906 est André Barthe, né en 1874, accompagné de son épouse Madeleine née en 1882 et de leurs deux enfants Jean et Marie-Jeanne, respectivement nés en 1903 et 1905. La ferme de Portes emploie alors 14 personnes dont 4 de nationalité belge.

Recensement de 1911…

En 1911, le recensement public montre une forte population à la ferme de Portes : 27 personnes, domestiques, ouvriers, journaliers, charretiers, berger…et leurs familles, au service d’André Barthes, fermier déjà présent en 1906.

Recensement de 1921…

Il indique uniquement le hameau de Portes. La population de la ferme-hameau est de 29 personnes. L’agriculteur patron est Lucien Mauge, né en 1889, avec sa femme Marie-Thérèse et son fils Roger né en 1920.
26 personnes sont à leur service, ouvriers agricoles, domestiques…et un bouvier, qui n’apparaissait pas précédemment.
On notera qu’un garde-chasse de la propriété champcueilloise des Montils, appartenant à la famille Leroy, est domicilié continuellement à la ferme de Portes sur chacun de ces recensements.

Recensement de 1931…

Dernier recensement d’avant-guerre qui sépare le hameau de Portes du village d’Auvernaux, lequel compte 125 habitants dont 98 Français et 27 étrangers.
La ferme de Portes comprend 29 personnes. Elle est tenue par Henri Bonlieu, agriculteur patron né en 1902, accompagné de son épouse Madeleine et de leurs deux enfants Marguerite et Philippe. Le personnel logé au hameau comprend 25 personnes, familles incluses. Neuf ouvriers sont polonais et un est tchécoslovaque. On trouve un jardinier et des ouvriers agricoles ainsi que le garde particulier des Leroy des Montils et sa famille .

Villa de la ferme de Portes. 2005 ( CG 91 )

 

Mais l’histoire ne s’est pas arrêtée en 1931…

Elle attend qu’un Auvernois amoureux de son village la transcrive pour la postérité.

Et qui sait, il se trouvera peut-être quelque moderne Casaubon (8), armé de sa pioche et de son scanner-sol pour chercher, comme à Paris, à Rennes-le-Château et autres lieux, le trésor des Templiers sous l’hôtel du commandeur d’Auvergnacum ?

En ce mois de septembre 2019, des activités commerciales non agricoles sont installées sur l’espace du hameau de Portes. La ferme est toujours en activité et l’exploitant actuel Pascal Bonlieu, gérant de l’EARL Bonlieu, a succédé à son père.

Bernard PACORY 19 septembre 2019

NOTES

1 Fiefs : propriétés d’une communauté ecclésiastique, d’un seigneur, d’un noble ou du roi.
2 Cens, accense , censive… Droits féodaux et terminologie d’avant la Révolution. Les censives étaient des sujétions féodales qui soumettaient les exploitants sur le territoire d’un seigneur à la perception d’un impôt dit “cens”. Le vote censitaire, réservé aux possédants, était directement lié au niveau des cens qu’ils percevaient.
3 Noble : “Qui appartient à une classe distinguée ou privilégiée par droit de naissance”. (Littré)
Les hommes et femmes privés de ce « droit » de naissance étaient dits roturiers.
Ne pas avoir la qualité de noble c’était être “ignoble”, un mot dont le sens a bien changé depuis!
4 « La crise rurale en Île-de-France 1550-1670». Par Jean Jacquart, Librairie Armand Colin. 1974 (800 pages)
5  Horsain : paysan venu d’ailleurs pour tenir un fermage.

6 Le tiers-état, réuni  avec les deux autres ordres lors des états généraux de 1789, était censé représenter 95% de la population française, ce peuple innombrable des plus pauvres et des plus démunis. Il comportait 578 députés, à parité avec les députés du clergé et ceux de la noblesse. Parmi les 578 députés « du peuple », on notait plus de 200 avocats et gens de robe, une centaine de nobles, des dignitaires de la royauté , beaucoup de bourgeois marchands, une bonne dizaine de curés, mais quasiment aucun paysan pauvre. 

Contact Si d’aventure un lecteur possédait une photo ancienne ou une description du château de Portes, qu’il ait l’amabilité de contacter le rédacteur. Par avance merci!

« Le pendule de Foucault » par Umberto Eco.

9 NB: Avec Michel Colin, nous travaillons à un récit sur la ferme des Montcelets de Champcueil.  Michel, retraité en Corrèze avec son épouse Josée,  a vécu à la ferme des Montcelets, longtemps tenue par la famille Colin. 

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