• « Ce que tu voudrais que les hommes fassent pour toi, fais-le pour eux ! »
    (Charles-Robert Darwin (1809-1882))

Portrait médiéval d’une Champcueilloise

    Portrait médiéval d’une Champcueilloise!

Après les portraits de deux Champcueillois, Georges Lemaitre, poilu de 14-18 et maire de
Champcueil et celui de Sylvie Boucher, Infirmière au front (Ange Blanc), publiés dans le cadre
du centième anniversaire de la fin de la Grande Guerre de 14-18, en voici un autre, très différent.
Cette Champcueilloise dont nous allons rappeler la mémoire était de la famille des vicomtes
Beaudoin de Beauvais. Petite nièce de Péronnelle de Champcueil, “fondatrice” de l’église de
Champcueil vers 1260, elle se nommait Agnès de Champcueil.

Et ce qui est exceptionnel, c’est que nous puissions encore « voir » cette personnalité qui vivait
sous Philippe IV Le Bel. Les gisants, gravés en style quasi roman d’Agnès de Champcueil, de sa mère Marguerite et de Pierre, son grand-père maternel figurent sur deux pierres tombales exposées dans l’église de Salins (Seine-et-Marne).

Pour nous replacer dans l’histoire, ce portrait énigmatique comporte en préambule quelques
compléments et précisions sur les Beaudoin de Corbeil-Beauvais et sur Péronnelle.

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Agnès de Champcueil. 128x – 1338.

Les comtes et vicomtes de Corbeil.
Lecteurs de “Champcueil l’histoire retrouvée” Tome I, peut-être vous souvenez-vous du chapitre consacré aux Vicomtes de Corbeil-Beauvais ?
Un bref rappel!
Au moyen âge, le comté de Corbeil recouvrait à peu près le Pays du Hurepoix, dont Champcueil faisait partie. Des comtes régnaient sur ce territoire, secondés par des vassaux nommés vicomtes, qui assuraient la sécurité du Château de Corbeil. D’abord placés sous l’autorité des Comtes de Corbeil, les vicomtes furent ensuite nommés par le roi lorsque le comté de Corbeil fut rattaché au royaume de France.

Aymon premier comte de Corbeil (Église St Spire)

Huit comtes de Corbeil, huit seigneurs « propriétaires » du comté s’étaient succédés, du Normand Aymon en 947 à Hugues en 1112, jusqu’à ce qu’un conflit local mette fin au comté de Corbeil en 1130. Guerroyant contre le roi, le comte Hugues de Corbeil fut battu à Toury “en Beausse” par l’armée de Louis VI le Gros. Le comté allait être démantelé et intégré au royaume de France. Corbeil allait devenir le siège d’une châtellenie royale et d’une prévôté.

Après cette intégration du comté de Corbeil au royaume de France et la disparition des comtes de Corbeil, ce furent des vicomtes nommés par le roi qui allaient assurer la garde du château de Corbeil. Ces vicomtes avaient en apanage le fief de Fontenay, près de Mennecy et la bourgade doit à cette présence médiévale son titre de Fontenay-le-Vicomte.
Parmi les nombreux vicomtes qui se succédèrent pour garder le Donjon de Corbeil, on remarque une longue lignée de vicomtes issus du fief de Beauvais . Il y eut des Ferry, des Jean de Beauvais, et huit vicomtes qui se prénommèrent Beaudoin de Corbeil-Beauvais… et de Champcueil pour le huitième et ultime vicomte Beaudoin.
Le premier à porter le titre fut le vicomte Beaudoin Ier né en 1005 et le dernier qui porta le titre, de 1273 jusqu’à sa mort, fut Beaudoin VIII. Ce dernier apparait comme Beaudoin VIII de Corbeil-Champcueil et non plus de Beauvais. Il avait quitté Beauvais pour son fief de Champcueil, et il devait loger face à l’église rénovée par son arrière tante.
Après ce dernier vicomte Beaudoin, le fief de Champcueil fut acquis vers 1330-1350 par Foulques de Marcilly qui devint seigneur de Champcueil. D’autres dynasties de seigneurs se succédèrent jusqu’à la Révolution de 1789. Le dernier fut un Neufville de Villeroy, arrêté durant la Révolution et guillotiné le 28 avril 1794.

Avant d’évoquer Agnès, Dame de Champcueil, quelques ultimes rappels pour la situer dans la lignée des Beaudoin.

De Beaudoin VI et sa fille Péronnelle à Beaudoin VIII.

Le château de Corbeil vers 1600. Gravure de Chastilllon.

Beaudoin VI de Corbeil-Beauvais, héritier du riche Vicomte Jean II de Corbeil, était lui aussi très riche, au point de prêter de l’argent à la couronne de France. Beaudoin VI était marié à Isabelle de Villoison et ils eurent plusieurs enfants, dont Péronnelle de Corbeil – Champcueil.
Fortune aidant, Péronnelle et son père Beaudoin VI allaient fortement contribuer au développement de Champcueil. C’est en effet Péronnelle qui allait faire agrandir et moderniser l’église dans les années 1240. C‘était alors une bâtisse de style roman, de dimensions modestes, édifiée vers 1110 sur les restes d’un édifice encore plus ancien, mérovingien ou carolingien. Péronnelle fit transformer l’église en style gothique primitif et y fit adjoindre un vaste chevet semi-circulaire, au-delà des limites de l’ancienne église romane.
On suppose que la dédicace de l’église à Notre-Dame-de-l’Assomption date de cette époque.

Église de Champcueil après transformation 1240

Champcueil comptait également plusieurs édifices religieux secondaires. Il y eut une chapelle Saint Thibault située à mi-chemin entre Champcueil et Chevannes et une autre à Beauvais initialement dédiée à Sainte Catherine de la Couture, et qui le sera ensuite à Saint Michel puis à Saint Hubert jusqu’à sa disparition au milieu du XIXème siècle. Il y eut également entre le XIVème et le XVIème siècle un bâtiment conventuel pour femmes, situé entre le village et la Chapelle Saint Thibault. Les lieudits cadastraux des “Dames Blanches” et du “Couvent” rappellent la présence de cet édifice disparu.
Il y avait alors une forte colonie religieuse au village voisin de Mondeville. La seigneurie de Mondeville avait été vendue en 1385 et investie par les Dames de Port Royal, moniales cisterciennes, qui rachèteront le fief en 1451. Les Dames de Port Royal possédaient des propriétés sur Champcueil, mais l’on ignore s’il s’agissait des mêmes « Dames Blanches ».

L’église qui trône toujours au centre de la place du village est à peu près telle que Péronnelle l’avait souhaitée… À peu près, car, pour des raisons inconnues : manque de moyens, décès, guerres ou désordres dans le royaume, le projet de Péronnelle ne fut pas achevé et la nef ne fut pas réhaussée comme le furent le chœur et le transept. Le décrochement important de la couverture entre la nef et le transept marque l’arrêt des travaux d’agrandissement, lequel est également observable de l’intérieur, au niveau de la jonction nef-transept. Malgré l’inachèvement du “projet Péronnelle”, cet agrandissement de l’église a entrainé un développement important de Champcueil : accueil de pèlerinages, activités artisanales et de services… jusqu’aux guerres de religions, à partir desquelles le village allait péricliter durablement.
“Fondatrice” de l’église de Champcueil, selon les termes de l’époque, Péronnelle avait été inhumée sous la nef vers 1310, mais sa pierre tombale a disparu. Peut-être est-elle enfouie sous la couche de mortier déposée sur le sol de l’église au milieu du XIXème siècle ?

Agnès de Champcueil

Après Beaudouin VI, décédé en 1239, la responsabilité de garder Corbeil fut confiée au vicomte Beaudouin VII de Corbeil Beauvais, qui avait épousé Agnès de N….. Ils eurent plusieurs enfants et c’est l’un de leurs fils qui deviendra Beaudoin VIII de Corbeil… et de Champcueil, au décès de son père en 1273. Dernier Beaudoin à être vicomte du Donjon de Corbeil, Beaudoin VIII avait quitté Beauvais pour le fief de Champcueil, nous l’avons dit.

Beaudoin VIII de Champcueil épousa vers 1380 Marguerite de Villeneuve-la-Cornue, (aujourd’hui Salins, en Seine-et-Marne.) Une fille naquit de ce premier mariage et on lui avait donné le prénom de sa grand-mère, Agnès.

Pierre tombale de Pierre Cornu et sa fille Marguerite. (Église de Salins)

L’église Saint Apollinaire de Villeneuve-le-Cornue, aujourd’hui Salins, a conservé deux dalles mortuaires. L’une montre deux gisants : Pierre Cornu, décédé en 1276, grand-père d’Agnès, et Marguerite, fille de Pierre Cornu et mère d’Agnès de Champcueil. Aux pieds de Marguerite figure un garçonnet, vraisemblablement un fils mort en bas âge et dont le nom ne figure pas.

Epitaphe pierre et marguerite

La seconde dalle ne présente qu’un seul personnage : Agnès Dame de Champcueil, avec ses titres et la date de son décès : le 1er Janvier 1338, soit, en calendrier grégorien actuel 1339 .

Pierre tombale d’Agnès , Dame de Champcueil. Eglise de Salins.

 

Epitaphe sur la plaque mortuaire d’Agnès.

 

Notons qu’au décès de Beaudoin VIII vers 1300-1310, sa veuve Marguerite épousa en secondes noces Oudard de Jouy, dont elle eut un fils, Simon de Jouy. Cela explique pourquoi l’on trouve Agnès de Champcueil désignée comme sœur de Simon de Jouy sur sa pierre tombale. Simon de Jouy deviendra seigneur de Villeneuve et capitaine de Provins.
Concernant le jeune garçon figurant aux côtés de Marguerite, il pourrait s’agir, selon plusieurs historiens, d’un fils né de ce second mariage.

De part et d’autre de la tête d’Agnès sont très distinctement représentées les armoiries qui la désignent : à droite les armoiries des Cornu “de vair plein” et à gauche les armoiries de Baudoin de Corbeil “D’or au dragon volant de sinople lampassé de gueules” .
Il n’y a aucune inscription concernant un époux ou une descendance, ce qui laisse supposer qu’Agnès ne fut pas mariée.

Paul Quesvert, qui a précisément retracé la lignée des Cornu de Villeneuve n’en dit rien de plus.  La période était encore largement dominée par les croyances mystiques et l’on peut faire l’hypothèse qu’Agnès ne s’étant pas mariée, avait rejoint une communauté religieuse.

 Quelle fut la vie d’Agnès de Champcueil ?

La date de naissance d’Agnès n’est pas connue précisément, entre 1281 et 85 sans doute, et elle vint au monde soit à Champcueil, soit à Corbeil. Son père Beaudoin, vicomte du château de Corbeil, avait l’obligation de résider sur place et son épouse devait l’accompagner. Mais lors de la naissance d’Agnès, sa mère Marguerite avait peut-être choisi d’accoucher dans leur château de Champcueil, entourée de ses dames de compagnie ? Les archives diocésaines de Sens, dont dépendaient les paroisses de Champcueil et de Villeneuve-la-Cornue ont peut être conservé l’acte de naissance-baptême d’Agnès ?

Les Cornu avaient défriché cette parcelle de forêt peu après l’an mil, créant et fondant une «Ville Neuve» qui portera leur nom. Solidement installés et enrichis, ils avaient acquis leur titre de noblesse et fait hommage au roi. Les Cornu avaient également fourni de nombreux ecclésiastique, évêques et archevêques de Sens et d’ailleurs, et peut-être Agnès avait-elle suivi cette voie ?

Faute d’informations complémentaires, nous allons supposer qu’Agnès avait passé une partie de sa vie dans un couvent ou une autre institution religieuse. L’allégorie des deux angelots maniant chacun un brûloir et tenant une navette à encens, que ses proches avaient fait figurer en tête de la dalle mortuaire d’Agnès indiquent sans ambigüité qu’elle eut un engagement religieux important. La coiffe qu’elle porte, une aumusse peut-être, donne une indication.

Dans l’éventualité où Agnès aurait été religieuse, il est peu vraisemblable qu’elle ait pu résider dans le modeste « Couvent » de Champcueil. À moins qu’Agnès n’ait précisément contribué à la création de cette institution religieuse pour femme. Selon nos connaissances actuelles, la première mention de la présence d’un ordre religieux sur Champcueil date de 1395. Enguerran de Marcoignet qui reçoit à cette date son titre de seigneur de Champcueil fait au roi la liste de ce qu’il a reçu de Foulques de Marcilly, précédent seigneur de “Champcueille” :
« …l’hostel et terres ayant appartenu à Foulques de Marcilly, de certains autres « héritaiges cy après déclairez qui jadiz furent et appartindrent à messire Fouques de Marcilly, chevalier, et après furent aux religieux, prieur et couvent de nostre dame de Valvert-lez-Paris de l’ordre chartreuse ».  Foulque de Marcilly est devenu seigneur de Champcueil entre 1330 et 1350, sans que l’on ait une date plus précise. Il peut avoir récupéré avec son fief, une bâtisse d’accueil pour moniales qu’Agnès aurait fondée, dans le même élan mystique que son arrière-tante Péronnelle.

Ruines de l’Abbaye royale du Lys (Près de Melun)

Une autre hypothèse, compte tenu de la personnalité de ses parents, est que son père ait fait une donation à un couvent réputé, afin de constituer la dot viagère d’Agnès. Et parmi les couvents proches, figure l’Abbaye royale de Notre-Dame-du-Lys, réservée aux jeunes filles “bien élevées”, et fondée par Blanche de Castille en 1244…au moment même où l’église de Champcueil était en pleins travaux d’agrandissement.
Les pistes à explorer restent ouvertes.

A son décès, Agnès allait rejoindre ses ancêtres nobliaux, sous la nef de l’église Saint Apollinaire de Villeneuve-La-Cornue.

Église Saint Apollinaire.
Salins ( Seine et Marne)

Et six-cent-quatre-vingt-une  années plus tard, les Champcueillois saluent sa mémoire !

Bernard PACORY mars 2019
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