La ferme seigneuriale des Montcelets.
Par Michel COLIN et Bernard PACORY
Préambule.
Peut-être est-il temps d’évoquer le passé d’une ferme champcueilloise avant qu’elles n’aient toutes disparu ? Tel est l’objet de cet article, qui rappelle la ruralité paysanne de Champcueil, en retraçant la vie d’une des fermes seigneuriales du village, celle des Montcelets,
Michel Colin, né en 1940 à la ferme des Montcelets, et qui y a vécu jusqu’à sa majorité va accompagner le lecteur tout au long de ce « reportage ». Retraité en Corrèze, Michel, très attaché au passé, a rassemblé photos et documents. Ses souvenirs personnels authentiques d’une vie à la ferme il y a plus d’un demi-siècle constituent la trame du chapitre III de ce récit.
Fermes seigneuriales.
Champcueil fut un village essentiellement agricole depuis son origine, et les premiers seigneurs de Champcueil n’eurent eux-mêmes pour tout château qu’une ferme seigneuriale (1). Ainsi, les fiefs des Montcelets, Malvoisine, Noisement, et ceux, voisins, de Portes, Mézières, les Messies, la Verville… furent à la fois logis et exploitations agricoles pour les seigneurs-propriétaires des lieux. La culture du blé et des céréales , stockables et nécessaires à l’alimentation humaine avec la fabrication du pain, deviendra dominante. Ajoutée aux cens (2) perçus sur les propriété des manants placés sous la « protection » du seigneur (3), cette culture vivrière sera une source importante des revenus seigneuriaux.
Les seigneurs-laboureurs de Champcueil et de l’Île-de-France profiteront de la proximité du marché parisien, le plus grand d’Europe, pour édifier leur fortune. Dès le XVIème siècle, « passant de la terre à la bourgeoisie », comme le note Jean Jacquard, ils deviendront membres de la bourgeoisie locale et souvent parisienne. Quittant leur statut d’exploitants directs pour devenir propriétaires gestionnaires, ils confieront leurs exploitations agricoles en « fermage » à des métayers souvent horsains qui deviendront « fermiers ». C’est alors que les exploitations prendront le nom de « fermes » seigneuriales.
Au début du XIXème siècle, pour une moyenne d’environ 500 habitants, Champcueil comptait encore une vingtaine d’exploitations agricoles, dont cinq grandes fermes… et 27 viticulteurs. À la fin de la seconde guerre mondiale, il restait encore 17 fermes, mais plus aucune vigne, sauf quelques ares sur Beauvais.
L’industrialisation des cultures et l’urbanisation ont provoqué la concentration agricole et conduit à la disparition de la quasi-totalité des exploitations agricoles champcueilloises.
Aujourd’hui, après la cessation d’activité de Marie-Thérèse Vercruysse, exploitante de la ferme du Petit-Noisement jusqu’en 2018, il ne subsiste que l’exploitation de Cédric Riebbels, rue Royale et celle de Malvoisine tenue par MM Citron et Audebert.
Devenus inutiles les bâtiments des exploitations ont été vendus et le plus souvent transformés en habitations. Les terres « labourables » ont été regroupées, vendues ou attribuées à des agriculteurs n’habitant plus la commune. C’est la situation qu’a connue la ferme des Montcelets en 2005.
(1) « Nul fief sans seigneur » ! Au XIème siècle Le domaine royal était limité à l’île de France et l’Orléanais avec des enclaves à Reims, Nevers, Dreux… Pour asseoir leur autorité sur l’ensemble du territoire, les rois avaient besoin de l’aide de ces innombrables seigneurs. Ces vassaux faisaient allégeance au roi lors d’une cérémonie d’hommages dite « aveux » où ils détaillaient leurs possessions.
(2) Les censives donnaient lieu au paiement d’un impôt féodal, le « cens » . Le poids du vote, dit censitaire, ne concernait que les « propriétaires » et il était proportionnel à leurs possessions.
(3) Avant les Villeroy, les seigneurs de Champcueil, dont les Bollart, « rendaient » la justice dans une salle nommée « auditoire ». Ils avaient le « droit de haute justice », aussi pouvaient-ils juger et condamner à la peine de mort les justiciables Champcueillois.
I La ferme seigneuriale des Montcelets. Historique.
Situées souvent à l’écart du village, au centre des terres labourables et des bois appartenant au seigneur, les fermes seigneuriales étaient à peu près toutes bâties selon le même schéma. Ceinturée de hauts murs, avec une grande cour centrale, la ferme comprenait une habitation souvent contigüe aux bâtiments agricoles, aux écuries, étables et bergeries. La ferme des Montcelets, (4) bâtie aux pieds de la Butte de la Coudraye correspondait à ce schéma.
Le lieudit « La Coudraye ».
Avant d’accueillir une ferme seigneuriale et plus tard le Sanatorium Georges Clemenceau devenu hôpital, la butte de la Coudraye (5) et la forêt située à ses pieds avaient accueilli des hommes durant la préhistoire. Jeune garçon, Michel Colin a parcouru en tous sens les pentes de la Coudraye et il y a trouvé des haches en pierre. Il s’agit de haches en silex poli, dites du “Groupe de Cerny-Videlles”, (6) une culture préhistorique néolithique (7) datant d’environ 4000 à 4500 ans avant notre ère, qui s’est étendue à l’Île de France.
Des objets de la même époque ont été trouvés sur Ballancourt, Beaune, Videlles, Boutigny… Divers ossements ainsi qu’un vase circulaire en terre cuite datés de cette époque avaient été trouvés vers 1876, sur le plateau de « la Beauce », à Beauvais, lors du creusement de la galerie pour le passage des Eaux de la Vanne. (8)
Le défrichement de la forêt qui recouvrait à l’époque toute la région, allait permettre de dégager de vastes espaces de culture. Apparaitront alors les premières bâtisses du village de Chancolia, aux pieds des dunes de la mer Stampienne, et plus tard des hameaux, depuis le bas des Avaux (Loutteville-Le Buisson) jusqu’aux Montcelets, au bas de la Coudraye.
Il n’existe aucune information connue sur la première occupation de la Coudraye, ni sur les premiers seigneurs de Champcueil avant Eude de Chancolia, le premier à être identifié en 1096.
(4)L’orthographe courante est Montcelets, mais l’on trouvait écrit Moncelles, Montcellez, Montcelletz, Moncelès et Moncelets sans le “t”.
(5)Une coudraie ou coudraye est un endroit où poussent des coudriers, ancien nom des noisetiers sauvages.
(6)La culture de Cerny-Videlles ou « le Cerny » est une culture préhistorique, un groupe culturel de la fin du Néolithique ancien, soit vers la seconde moitié du Vème millénaire avant notre ère. Elle disparaîtra au Néolithique moyen. Elle doit son nom au site du « Parc aux Bœufs » à Cerny ( Essonne) qui permit sa définition.
(7)Néolithique : période de la “pierre polie”, suivant le Paléolithique, dit période de la “pierre taillée”.
(8) Ces squelettes et objets trouvés à Beauvais ont été déposés au Musée National de la Préhistoire à St-Germain-en-Laye.CF Champcueil l’histoire retrouvée TI, page 19.
C’est en 1481 que les Montcelets vont apparaitre deux fois sur des aveux adressés au roi par Antoine de Marcoignet, seigneur de Champcueil. L’année suivante, les Montcelets perdront définitivement leur caractère de ferme seigneuriale. L’exploitation sera cédée par le même A.de Marcoignet, à un bourgeois de Paris, comme l’indique l’acte de vente.
Aveux d’Antoine de Marcoignet succédant à Anguerran de Marcoignet. (1481)
1/ « …assiz en la ville de Champcueille ou teroir et pays d’environs : premièrement un hostel, court, estables, jardins, un arpent de vignes et saussoy (9) derrière, tout clos de murs, tenant d’une part à la censive de Guinette et d’autre part le chemin par ou len va à corbeil et à Moncelles… »
2/( Possessions d’Antoine de Marcoignet) « …c’est à savoir ung hostel, court, coulombier et jardins, contenant plusieurs édifices tout clos de murs, tenant d’une part au chemin par lequel lon va de Champcueille à Montceletz… »
Acte de vente des Moncelets, par A. de MArcoignet à Jean Legendre. (1482)
3/(Traduction 2019) :
“Antoine de Marcoignet, seigneur de Champcueil-en-Gâtinais, vend à Jean Legendre,
marchand et bourgeois de Paris, les terres et rentes assises sur la seigneurie de Champcueil aux lieux de Moncelets et Chevannes moyennant 320 livres tournois.”
Cet acte de vente indique que la moitié du prix de la vente, soit 160 livres tournois, revient à Marguerite de Marcoignet, sœur d’A.de Marcoignet et épouse de Gilles Bollart. La famille Bollart, originaire de Chevannes, prendra la seigneurie du fief de Champcueil en 1506 après les Marcoignet. Les Bollart ont fait installer « Geneviève », (10) la cloche historique de l’église de Champcueil. Ils conserveront le fief jusqu’en 1612.
Pour écouter Geneviève, cliquer sur le lien ci-dessous puis « ouvrir ».
(9) Saussaye, saussoy ou saulsoy: terrain marécageux où poussent des saules.
(10) « Geneviève », seule cloche historique conservée de l’église de Champcueil, a été installée en 1566 par les Bollart. Sa robe de bronze porte l’inscription « : « L’an mil Vct LXVI je fus faite et suis nommée Geneviève et alors les seigneurs se appelaient Bollart ».
Champcueil échut ensuite à « Messire Nicolas de Neufville, chevalier, seigneur de Villeroy (Mennecy et environs), qui possédait déjà à Champcueil les pays de Malvoisine, Noisemont, Crève-Cœur, les Montils, la coudrays et les Montcelets, acquis de Mr François Desfriches.
Le duché des Villeroy vers 1675. Le nom de Champcueil-village n’est pas indiqué, il est le « fief de Marcoignet ». Placés sous la domination des ducs de Villeroy, Champcueil, les Montcelets, fermes et fiefs ne sont plus dits “seigneuries” .
Devenus marquis, puis pairs de France, les Villeroy achèteront la quasi-totalité du canton. En 1663, le marquisat des Villeroy allait devenir un duché-pairie et la liste de leurs propriétés comptait alors à peu près tous les villages et hameaux voisins de Mennecy : « Beauvais, Mennecy, Fontenay, Noisement, Malvoisine, Crèvecœur, La Padole, Quincte, les Messis, Chancueil, Moncelès, Montils, Boulon, Chupin, La Couldraye, Villefeu, Montigny, Bataille, Ormoy, Ballancourt, Villabé, Coupeux et Villoison, Boissy, ainsi que Loutteville et Dames Blanches rachetés aux seigneurs de Bizemont du Buisson. »
Les Villeroy conserveront les Montcelets jusqu’à la Révolution. Le dernier duc de Villeroy, Gabriel Louis, sera guillotiné le 28 avril 1794 et le duché de Villeroy sera démantelé.
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II Les Montcelets après la Révolution de 1789
Devenus biens publics à la Révolution, la ferme des Montcelets sera vendue avec ses terres et les bois de la Coudraye à un marchand de canons normand, Mr Michel Brezin qui l’exploitera en fermage.
Le premier métayer connu de la ferme des Montcelets, au service de l’industriel M.Brézin fut Joseph Demandre, propriétaire, dit l’état civil.
Joseph Demandre sera nommé maire de Champcueil par le préfet, le 12 Mai 1811, devenant le troisième d’une longue liste de « fermiers -maires » à Champcueil, dont un certain nombre étaient fermiers aux Montcelets, comme le rappelle ce qui suit.
On peut supposer que le « poids économique » de J.Demandre, exploitant des Montcelets et propriétaire par ailleurs, ait « orienté » la décision du préfet.
Jean Jacquard (11) a très bien décrit ce qu’il nommait une “hiérarchie de dignité” entre les paysans miséreux et les « laboureurs » installés sur de gros sites d’habitat et d’exploitation.
En 1596, déjà, un « Traité des ordres » plaçait la respectabilité de ces importants “laboureurs” du tiers-état « après les commerçants des villes et les gens de robe longue, mais avant les praticiens de robe courte ». Cette « hiérarchie » a pu se perpétuer après l’ancien régime.
J.Demandre était proche d’une famille d’importants cultivateurs de Videlles, les Girard et il transmettra quelques années plus tard le fermage des Montcelets à Jacques Girard, qui sera maire de Champcueil à son tour, le 20 mai 1816. Champcueil comptait alors 673 habitants et 5 personnes étaient employées aux Montcelets.
Changement de propriétaires.
En 1828, M.Brezin, propriétaire des Montcelets disparaissait, léguant tous ses biens à l’Assistance Publique de Paris , (12)dont la ferme des Montcelets, les terres et les bois de la Coudraye. Jacques Girard continuera l’exploitation pour le compte du nouveau propriétaire, mais il démissionnera de son poste de maire le 17 octobre 1830. Il sera remplacé à la mairie de Champcueil par Marin Menet, agriculteur-propriétaire à la ferme du Petit Noisement.
En 1836, Louis Isidore Girard, 34 ans, prendra la suite de son père et il restera patron-fermier aux Montcelets jusqu’à 70 ans échus.
(11) Jean Jacquard. Thèse « La crise rurale en Ile-de-France, 1550-1670 »
(12) L’Assistance Publique deviendra l’AP-HP : Assistance Publique des Hôpitaux de Paris.
En 1848, les Champcueillois mâles de plus de 21 ans vont élire M. Jacques Bénard, proche de la famille de l’industriel Leroy, avec 43 voix sur 70 exprimées. M. Bénard laissera la mairie le 25 juillet 1852 à Louis Pierre Dejoye, rentier habitant rue Royale, nommé par le préfet. Mr Dejoye fut un maire très actif pour la salubrité du village.
Les carrières de grès se développèrent à cette époque et la municipalité décidera le pavage en pavés de grès de plusieurs rues du village, jusque-là chemins ravinés d’ornières. En 1866, la municipalité de L-P. Dejoye décidera la suppression du cimetière
insalubre qui existait en centre bourg, autour de l’église, et créera le nouveau cimetière, à l’emplacement actuel.
1860. Conseil municipal de L Dejoye. On notera la présence de l’industriel Charles Leroy, de Pierre Lionet, chirurgien à Corbeil, époux d’une fille Breguet du Buisson, ou encore d’Isidore Girard, fermier aux Montcelets.
Le 31 janvier 1856, Louis Isidore Girard, fermier-patron aux Montcelets sera nommé maire de Champcueil par le Préfet, pour succéder à M. Dejoye. Louis Isidore Girard restera maire jusqu’au 4 août 1860. Il quittera les Montcelets en 1876 pour laisser la place à M Zéphir Rotrou, âgé de 36 ans .
1900. Z Retrou maire. On note la présence dans le Conseil municipal de deux membres de la famille Leroy : Isidore et Théodore et de M.Menet, fermier à Noisement..
Lors de l’arrivée de M Zéphir Rotrou , 11 personnes étaient employées aux Montcelets, dont 5 charretiers, 1 berger 1 vacher et 2 domestiques. Champcueil comptait alors 596 habitants, plus une « population flottante » de 39 personnes, logées chez l’habitant, et occupées au creusement et à la construction de l’aqueduc des eaux de la Vanne.
Le 23 janvier 1881, Zéphir-Édouard Retrou, sera à son tour élu maire de Champcueil jusqu’au 9 mai 1886. Il sera à nouveau élu en 1892, et il restera maire jusqu’à son décès le 25 septembre 1901. Le conseil municipal désignera alors comme maire Gustave Menet, 46 ans, propriétaire-fermier au Petit Noisement.
Lors du décès de Z .Retrou, la ferme des Montcelets employait 9 domestiques et Champcueil comptait 544 habitants.
En 1902, c’est Charles Mouillot qui prendra la suite aux Montcelets. Gendre de Z. Rotrou ; il avait épousé Marie Rotrou, née à Champcueil en 1875, fille de Z.Rotrou et de son épouse Héloïse Happeau. Les Montcelets comptaient alors en tout 16 personnes et il y avait à Champcueil 524 habitants.
Le 20 mai 1912, C.Mouillot sera remplacé aux Montcelets par Armand Chachignon, né en 1887 à Puiseaux dans le Loiret. Quelques mots sur ce Poilu champcueillois.
Armand Chachignon, Poilu de 14-18 et patron aux Montcelets de 1912 à 1921.
Armand -Auguste-Émile-Marie Chachignon habitait avec ses parents, au 95 rue Saint-Spire à Corbeil, lorsqu’il fut appelé pour effectuer son service militaire à l’âge de 20 ans.
Le 8 octobre 1908, il fut incorporé au 5ème escadron du Train des Équipages. Ses deux mois de classes terminés, il sera déclaré « service auxiliaire » pour une double hernie. Maintenu sous les drapeaux, il effectuera ses deux années de service militaire jusqu’au 25 septembre 1910.
De retour à Corbeil, il reprendra son activité de marchand de chevaux, puis, le 20 mai 1912, il deviendra patron-fermier aux Montcelets au service de l’AP-HP. Pour peu de temps, car deux années plus tard, la guerre contre l’Allemagne était déclarée le 2 août 1914 et Armand Chachignon, âgé de 26 ans, allait-être mobilisé le jour même.
Il arrivera le 3 août 1914 à Sorcy, au bord de la Meuse, au 12ème régiment de cuirassiers – 6ème brigade de cavalerie. Il servira un an dans cette arme, sur le front de l’est, puis en Picardie, en Artois et enfin en Champagne. Le 27 septembre 1915, il sera passé au 102ème régiment d’infanterie et il participera alors à l’inutile et désastreuse « seconde offensive de Champagne » décidée par l’incapable Joffre. (13) Du 25 septembre au 9 octobre 1915, ce sont 138.500 Poilus qui seront mis hors de combat sur un front de 20 kilomètres. Gravement blessé près de la «Ferme Navarin», entre Souains et Tahure, Armand Chachignon fut l’un de ces hommes-là !
Soigné sur place, il sera évacué vers l’arrière le 8 octobre 1915. Selon sa fiche militaire, il sera amputé du tiers de la jambe droite, du dernier orteil gauche et d’une partie du métatarsien gauche. Réformé, classé invalide à 95%, il sera définitivement rayé des rôles de l’armée.
Retour aux Montcelets .
Armand Chachignon reviendra aux Montcelets le 6 juin 1916 comme fermier-patron où il restera jusqu’en 1921. Lourdement handicapé, il sera aidé et secondé par sa tante Augustine Cailloux, originaire de Morigny, près d’Étampes. Augustine Cailloux était de la famille d’Henriette Lemaitre, née Cailloux, épouse de Gorges Lemaitre, qui sera maire de Champcueil de 1945 à 1972.
Titulaire d’une pension d’invalidité, Armand Chachignon se retirera en 1921 à Morigny, où il se mariera le 28 juin 1927 avec Adrienne Jouanneau. Le grade de chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire lui sera décerné en 1946. Il décédera à Etampes le 18 octobre 1963.
NB : Armand Chachignon avait un frère cadet, Charles, né en 1899. Étudiant en droit domicilié à Champcueil, Charles sera lui aussi mobilisé le premier jour de la guerre. Caporal au 43ème RIC il sera tué à 26 ans, le 1er octobre 1915, sur le Plateau de Vimy (Pas de Calais).
Charles Chachignon figure sur le monument aux morts pour la France de Champcueil.
(13) “Joffre, l’âne qui commandait des Lions” Roger Fraenkel . Éditions Italiques.
III Les Colin.
Fin 1921, Émile Colin et son épouse Léa arrivèrent aux Montcelets pour prendre la suite d’Armand Chachignon. Lors de leur installation à Champcueil, le recensement de 1921, publié quelques semaines avant leur arrivée, note encore Armand Chachignon comme cultivateur patron. Sa tante Augustine Cailloux, née en 1862, figure également aux Montcelets, avec quatre charretiers et trois ouvriers agricoles. Champcueil comptait alors 462 habitants et le maire était Alphonse Monjallon.
Michel Colin, le petit-fils d’Émile et de Léa Colin est né aux Montcelets le 4 mai 1940 et il y a vécu une vingtaine d’année. Co-rédacteur de cet article, ses souvenirs vont compléter le récit.
Mes grands-parents, Emile Colin, né en 1882 à Voisenon et son épouse Léa, née Carmignac à Noisy-Le-Sec en 1890, ont tenu cette ferme en qualité de fermiers.
Mariés en 1908, ils étaient déjà fermiers de 1909 à 1921 à la Fleunie de Condat-le-Lardin en Dordogne. C’est là que sont nés leurs quatre enfants : Antoinette, mon père Jacques, Robert et la cadette Marguerite.
Après un bref retour en 1921 à Voisenon, berceau de la famille Colin, ils sont arrivés à la ferme des Montcelets, par connaissance et relation avec la famille Cailloux. Ils y travailleront jusqu’en 1939, date de la reprise de la ferme des Montcelets par leur fils Jacques (mon père). Emile et Léa avaient acheté une maison 1 route de Noisement à Champcueil. Retraités, c’est dans cette maison qu’ils sont décédés, Émile en 1964 et Léa en 1970.
Arrivée de mes parents aux Montcelets.
Mon père Jacques né le 21/09/1914 à Condat (Dordogne) et ma mère Lucienne Blot née le 12/06/1915 à Paris 11ème, se sont mariés le 2 avril 1938 à Marolles-en-Hurepoix.
Ils ont été fermiers aux Montcelets de 1939 jusqu’à notre départ pour la Corrèze en 1960.
Selon l’acte de reprise de bail établi en 1939, la superficie cultivée et semée comportait 41 hectares de blé, 55 ha d’avoine, 4 ha de seigle, 25 ha de betteraves et 15 h de luzernes. Cette superficie correspond à environ 140 hectares au début, et de l’ordre de 170 ou 180 hectares à la fin, en y ajoutant l’exploitation de terres de petits agriculteurs champcueillois ayant cessé leur activité.
Christiane, Arlette et moi-même Michel, enfants de Jacques et Lucienne Colin sommes tous trois nés aux Montcelets. Nous sommes tous allés à l’école primaire de Champcueil.
Le travail à la ferme des Montcelets.
Avec la culture des céréales, des betteraves à sucre et fourragères, de la luzerne et du colza, nous élevions des moutons et des bovins. Le même acte de reprise de bail de 1938 recense 12 chevaux, 18 vaches et 230 moutons.
Les vaches, toutes traites à la main, ont été vendues juste après la guerre, sauf quatre ou cinq pour le lait de notre consommation courante et celle du personnel du sanatorium tout proche. Le lait était stocké à la ferme dans de grands frigos de type boucherie.
Nous avons eu jusqu’à 14 chevaux de traits pour les travaux des champs et, pour les sorties, un petit cheval blanc nommé «Misère ». Tous les jours, il fallait de bonne heure nourrir les chevaux, les étriller, chaque cheval avait son collier et son équipement propre. On leur donnait, en plus de la nourriture habituelle, de l’avoine écrasée. Le bourrelier venait de Soisy -sur-École pour l’entretien. Pour remplacer leurs fers, nous les emmenions chez Delarue, le maréchal-ferrant installé à Chevannes.La réparation des roues de charrettes et tombereaux était assurée par Émile Brégé, charron à Champcueil, rue des Montils.
L’élevage des brebis occupait une grande partie du temps surtout en période d’agnelage. Elles étaient tondues au printemps et la laine vendue. Au début, nous n’avions pas de tracteur mais la mécanisation est arrivée très vite après la guerre. Elle a entrainé progressivement la réduction du nombre d’ouvrier agricole.
En 1938, l’exploitation des Montcelets comptait en plus de mes parents, un vacher, un berger, des charretiers d’origine étrangère, plusieurs ouvriers agricoles et Marie, factotum ménagère venue de Marolles en 1940. En l’absence de papa, Marie resta aux Montcelets pour aider maman aux tâches ménagères et elle fut pour moi une seconde mère.
Organisation de la ferme des Montcelets.
Les bâtiments de la ferme ceinturaient une grande cour intérieure, assurant à la fois la protection vis-à-vis de l’extérieur et un enclos sécurisé pour les animaux de la ferme.
Nous logions dans l’habitation et le personnel était logé dans d’autres bâtiments de la ferme.
Après le portail à gauche, il y avait 2 chambres au rez-de-chaussée et 3 chambres au-dessus. Dans l’écurie, il y avait une pièce à usage de dortoir (paillasses) avec quatre lits superposés. Dans l’étable, il y avait un lit suspendu aux poutres, accessible avec une échelle. Enfin, il y avait une buanderie où l’on faisait les lessives, et cuire les pommes de terre pour les cochons. Cette pièce servait aussi pour la toilette.
Mon père avait été mobilisé au début de la guerre, le 26 août 1939 à Versailles (classe 1934 –matricule 3488). Nous allions nous trouver en zone occupée et en juin 1940, ma mère est partie à l’exode avec moi (j’avais un mois). Nous sommes allés jusqu’ à Gien, mais le pont avait sauté et nous avons fait demi-tour aussitôt. J’ai été baptisé un an plus tard, mon parrain fut un des ouvriers et ma marraine fut Marie.
Mon père Jacques et son frère Robert ont été faits prisonniers à Alençon, le 28 juin 1940. Ils se sont évadés en s’échappant d’un camion qui les transportait vers l’Allemagne en août 1940. Tous deux rejoignirent Condat (24) en zone libre. Ils furent démobilisés le 21 décembre 1940 au Centre de démobilisation de Périgueux. Mons père, travailla peu de temps à la papeterie de Condat. En avril 1941, il était déclaré aux assurances sociales agricoles comme ouvrier à Saulzet (Allier). Je me souviens avoir entendu dire qu’il avait travaillé à la remise en état d’un terrain d’aviation pour le remettre en culture. Le 03 mars 1943, il avait été recensé dans le cadre du service travail obligatoire (S.T.O) à Billys de Saulzet (03).
En se cachant, mon père venait nous voir aux Montcelets aussi souvent qu’il le pouvait.
Pendant son absence, maman, aidée les ouvriers agricoles à fait au mieux pour la gestion de la ferme des Moncelets. Début 1944, papa est revenu à la ferme. Ma sœur Arlette est née en octobre 1944 et Christiane en juin 1946.
Dès 1945, notre père Jacques Colin sera conseiller municipal de Champcueil. Il fera partie du conseil durant la première mandature de Georges Lemaitre, maire provisoire désigné par le préfet le 18 mai 1945. G. Lemaitre sera élu par les habitants le 31 octobre 1947, lors de la première élection municipale d’après-guerre.
La Vie à la ferme.
Durant l’occupation, il y avait le rationnement. Nous avions des tickets pour certaines denrées, mais nous mangions ce que nous produisions. Nous avons vécu cette période en quasi-autarcie. Le boulanger passait tous les jours.
Le jardin était très important pour assurer une grande partie de la nourriture de l’ensemble des personnes travaillant sur cette ferme. On y cultivait de tout, y compris asperges et artichauts sans oublier les pommes de terre. Il y avait de nombreux pommiers, poiriers, pruniers, cerisiers, figuiers, noyers et une vigne. Nous faisions des conserves de fruits. Des réservoirs en fer de très grande capacité, en mauvais état, étaient installés sous les gouttières afin de récupérer de l’eau pour l’arrosage.
Les années où la récolte de pommes était mauvaise, à l’automne nous achetions un wagon de pommes pour faire du cidre.
Une entreprise venait à la ferme avec un pressoir. Nous stockions le cidre dans de très grands tonneaux et nous en buvions toute l’année. Aux repas, nous consommions du cochon, des volailles, des lapins, tous élevés sur la ferme.
Pour la « fatigue du cochon », c’était un cuisinier du sanatorium qui venait le tuer et préparer la cochonnaille. Il venait également aider à la préparation des repas à l’occasion des fêtes familiales.
A chaque repas, une cloche suspendue à l’entrée de la maison était sonnée pour prévenir de l’heure. Il y avait moins de monde le soir pour les diners, certains ouvriers agricoles rentaient chez eux.
Durant la guerre, il y avait un abri au fond du jardin. Une tranchée avait été creusée et recouverte de bottes de paille. Elle a servi une fois lors d’un combat aérien.
À la libération, des Américains étaient stationnés à côté de la ferme. Je me souviens très bien d’être allé les voir avec le fils de Marie. Ils nous donnaient de nombreuses friandises.
En été, lors de la coupe de la luzerne et les moissons, l’affûtage des lames des faucheuses nous occupait un grand moment. Nous fanions la luzerne. Nous faisions des meules de ce fourrage sur un trépied pour le séchage, avant de le rentrer en vrac dans les hangars. C’était l’essentiel de la nourriture du cheptel.
Lors des moissons de l’immédiat après-guerre, les céréales étaient fauchées et liées en gerbes ou « javelles », avec une faucheuse-lieuse. Les javelles étaient ensuite rassemblées, épis en haut, en tas, puis ramassées par des attelages et empilées en cercle pour former de grandes meules. Les toits pointus des meules étaient ensuite paillées par des chaumiers extérieurs à la ferme, pour les protéger de la pluie jusqu’au battage.
Pour le battage, l’entreprise Kerfanteau venait avec son matériel : la batteuse, une presse pour faire les bottes de paille, et le tracteur « société française » pour la force motrice.
Le grain (blé, orge, avoine) était mis en sacs et stocké avant d’être vendu à la coopérative de la Ferté-Alais. La belle paille était destinée à être utilisée en l’état tandis que la menue-paille était mélangée avec la pulpe des betteraves pour les animaux.
Le rendement de blé fluctuait de 35 à 55 quintaux à l’hectare. (On parle aujourd’hui de 100 quintaux à l’hectare !) Les champs de blé n’étaient pas traités et ils étaient très colorés avec des coquelicots et des bleuets.
Pour les moissons, et pendant leurs vacances, des ouvriers de la région venaient travailler à la ferme. Ils étaient surnommés « les castors », car l’argent perçu les aidait pour la construction de leur habitation.
Pour fêter la fin des moissons, nous plantions un mai (ou mât) agrémenté d’un bouquet d’épis et de fleurs des champs fixé au sommet, et surtout nous faisions un bon banquet.
Les semis de betteraves du printemps, devaient être éclaircis « démariés », et désherbés à la main par des bineurs de betteraves. Puis il fallait arracher les betteraves à l’automne. Pour cela des tâcherons d’origine espagnole venaient faire les binages et l’arrachage à la main. Des « spécialistes de l’élevage » passaient à la ferme pour attribuer une récompense pour la qualité du troupeau de moutons. Mes parents avaient eu un prix : « un mouton en bronze ».
A côté de la route de Chevannes, il y avait une mare qui récupérait toutes les eaux pluviales. Toujours dans le même secteur, dans un champ, à gauche, le terrain s’est effondré sous notre tracteur. Il y avait dessous une cave voutée (vide) ce qui laisse supposer qu’il y ait eu des habitations dans une époque antérieure.
La récolte des betteraves à sucre était vendue à une sucrerie d’Auvernaux. La pulpe était récupérée pour la nourriture des animaux.
A la sortie du sanatorium, sur le chemin qui mène à Ballancourt et à gauche, il y avait un champ cultivé où enfant, j’avais récupéré quelques haches en pierres polies.
En période de chasse, des cadres de l’assistance publique venaient chasser sur “leurs” terres, lapins, lièvres, perdreaux ou faisans. Au début des années 1950, la myxomatose, introduite de façon volontaire en France en 1952, mit un terme à la chasse aux lapins de garenne qui allaient disparaître.
Un artiste, résidant du sanatorium, nous avait vendu des tableaux. J’en ai conservé un, signé H.Léonard.
A cette époque, les gens se déplaçaient à vélo. Il y avait une taxe sur les vélocipèdes.
Le coiffeur venait à domicile et par beau temps le salon était dans la cour ! Le garde- champêtre passait de temps en temps.
Le Docteur Gauraz venait également de Mennecy à bicyclette. Il intervenait sur place et si besoin d’intervention bénigne, il la faisait sans anesthésie.
Des bouchers et maquignons venaient aux Montcelets acheter les moutons et aussi les agneaux de Pâques. Monsieur Hus venait acheter les lapins et les volailles.
Un marchand de peaux de lapins venait à vélo récupérer les peaux.
Le père Régnier, de Beauvais venait à pied à la fin de l’hiver pour nous vendre des balais en bouleau par lot de six. Le taupier venait au printemps. Un ferrailleur-brocanteur était souvent de passage ; ma mère lui avait acheté une grande partie de son mobilier. Des commerçants venaient pour nous vendre des vêtements, des chaussures, des tissus etc…
L’hiver, nous nettoyions la petite vidange et les bosquets autour des terrains agricoles Nous faisions le bois de chauffage dans les parcelles boisées et des piquets pour les clôtures en acacias. Nous assurions l’entretien d’un chemin avec du mâchefer, peut-être récupéré auprès du sanatorium, alors chauffé au charbon.
Nous allions à l’école de Champcueil à pied, et le midi, nous déjeunions chez les grands-parents, rue de Noisement.
École de Champcueil 1946-1947 Assis au centre Michel COLIN. Instituteurs Fernand et Marguerite HURÉ
Les cars « Citroën » passaient, avec arrêt devant le portail de la ferme pour destination Corbeil et Paris. Pour Noël, nous allions voir les animations des magasins à Paris.
Tous les ans, un représentant de l’Assistance Publique venait pour discuter des réparations ou améliorations à faire sur la ferme. Mes parents payaient le fermage, mais les bâtiments étaient entretenus par l’AP-HP propriétaire.
Le temps a passé, et de plus en plus mes parents ne voyaient pas d’avenir dans la ferme des Moncelets. Les terrains étaient sablonneux et pas très fertiles. L’Assistance Publique entretenait de moins en moins les bâtiments. Mes parents avaient envisagé d’acheter une petite ferme dans la région de Dourdan. Cela ne s’est pas réalisé.
En 1960, avec mes parents nous avons quitté la ferme des Moncelets pour la Corrèze. Avec mes sœurs Arlette et Christiane, nous échangeons souvent des souvenirs de la vie à la ferme des Montcelets, notre enfance s’est passée là-bas.
De ferme seigneuriale en bâtiment municipal.
Les derniers fermiers aux Montcelets seront des cousins des précédents exploitants. En 1960, Dominique Colin et son épouse reprendront l’exploitation de la ferme des Montcelets.
Il seront les derniers fermiers à y habiter. La concentration des terres agricoles causera la disparition de l’exploitation, dont les terres labourables seront concédées à d’autres agriculteurs.
En 2005, l’AP-HP confiera à la SAFER la vente des bâtiments et terrains. La commune, qui avait déjà acquis en 1973 des parcelles de terre à l’AP-HP, rachètera en février 2007 le corps de ferme et diverses parcelles pour une contenance totale de 2 hectares, 78 ares et 41 centiares. (27.841 mètres carrés)
Pendant que l’exploitation agricole des Montcelets vivait ses dernières années, le Sanatorium Georges Clemenceau construit aux pieds de la Bute de la Coudraie devenait hôpital gériatrique, et la friche triangulaire située en face des Montcelets allait accueillir les Pompes funèbres Marin, qui quitteront Champcueil- village pour de nouveaux locaux bâtis à cent mètres des Montcelets.
La municipalité avait souhaité ne pas laisser à l’abandon ces bâtiments chargés d‘histoire, et avait élaboré un ambitieux projet pour réhabiliter les Montcelets. L’ensemble devait être aménagé, le grand bâtiment qui constituait l’étable devait être transformé en salle de réunion…etc.
En 2012, une aide du département et de la région avait été sollicitée. Il s’agissait alors d’aménager l’accès et le stationnement aux Montcelets pour un montant projeté de 179.874€, et de réhabiliter les bâtiments pour un montant de 1.024.785 € .
Devant le coût prohibitif, la municipalité n’avait pas donné suite au projet global d’aménagement des Montcelets.
Actuellement, les bâtiments accueillent un atelier de menuiserie, un atelier d’entretien et de stockage de machines et d’engins de travaux publics, le tout à usage des services municipaux. Des douches ont été aménagées pour le personnel municipal et deux pièces de la maison d’habitation ont été équipées pour servir de logement au gardien.
Utile au village depuis six siècles, la ferme des Montcelets est la propriété de la municipalité… et des Champcueillois par procuration. La belle histoire besogneuse des Montcelets doit se poursuivre !
Michel COLIN – Bernard PACORY
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